La « bientraitance » des bébés prématurés en progrèsA l’hôpital Robert-Debré, à Paris, on lutte contre le « stress » des enfants nés trop tôt.
Au-delà des prouesses techniques, les soins de confort ont un impact non négligeable sur le développement
Vanessa a glissé son petit sous son tee-shirt et le caresse d’une main enveloppante, en silence. Au service de réanimation néonatale de l’hôpital Robert-Debré, à Paris, le « peau-à-peau » est l’un des rares moments privilégiés qu’une mère peut passer avec son enfant.
Jules, lui, pesait 770 grammes à la naissance. Deux mois plus tard, il est encore loin d’être autonome : bardé d’électrodes, le bébé respire avec un masque et mange à l’aide d’une sonde. Mais à cet instant, endormi sur la poitrine de Vanessa, il semble apaisé.
La relation aux parents primordialeCe moment n’est pas seulement essentiel à son bien-être ; il l’est aussi à son développement. Depuis quelques années, au-delà des prouesses techniques de la réanimation, les spécialistes de la prématurité ont pris conscience de l’importance de tout ce qui a trait au confort de ces bébés, brusquement passés du milieu utérin à un environnement par définition hostile puisque ils n’y sont pas préparés.
À cet égard, la relation aux parents est primordiale.
« Celle-ci a un effet sur le développement cérébral de l’enfant » , affirme Olivier Baud, le chef du service.
Ce spécialiste de la neuroprotection explique en effet que, chez l’enfant grand prématuré, les neurones ont certes migré mais entrent alors en connexion les uns avec les autres, un processus qui s’opère normalement dans le ventre de la mère. La construction de ce « réseau » risque donc d’être perturbée.
Même une caresse peut être « inadaptée »Et à cet égard, les sources de « stress » sont nombreuses. Outre la séparation d’avec la mère et la disparition du placenta protecteur et nourricier, vivre à l’air libre expose ces petits êtres à toutes sortes de stimulations potentiellement délétères : le bruit, la lumière, le contact, la modification du rythme biologique, etc.
« Même une caresse peut être inadaptée pour des bébés aussi vulnérables, explique Véronique Randon, cadre puéricultrice.
Il faut avant tout observer le nourrisson, s’assurer qu’il est à l’aise du point de vue respiratoire, digestif, puis privilégier un toucher chaud et contenant. » Forte de ces constats, l’équipe de Robert-Debré a fait de la « bientraitance » une priorité, un thème au cœur des 5 es assises de la fondation scientifique « PremUp », le 11 mai 2012.
Les cycles veille-sommeil respectéesPlus question d’éclairer les chambres au néon ou de laisser les alarmes sonner à tout va près des couveuses qui résonnent. Les stores sont baissés et les incubateurs désormais recouverts d’un drap pour protéger les yeux des nouveau-nés.
Certes, les cardioscopes continuent de biper mais avec des cadences espacées. Autre évolution : l’attention portée au respect des cycles veille-sommeil des enfants.
« Auparavant, les soins étaient effectués toutes les trois heures, sans se préoccuper du rythme propre à chacun, rappelle Véronique Randon.
Aujourd’hui, non seulement les infirmières adaptent leur organisation mais, en dehors des urgences, elles incitent les médecins à repasser si le bébé dort. » Pour ce cadre, qui organise des formations régulières à l’intention du personnel, les enjeux sont majeurs. Elle prend l’exemple des soins de bouche.
« On a longtemps été très attentifs à ces soins, qui consistaient à nettoyer, de façon régulière et répétée, la bouche du nouveau-né avec du bicarbonate. Imaginez que l’on vous réveille, en pleine nuit, en enfournant dans votre bouche une compresse énorme, que l’on vous astique les gencives… Pour certains prématurés, la sphère orale, celle du plaisir pour l’enfant, est devenue une sphère de déplaisir avec des conséquences à long terme sur l’alimentation, par exemple. » « Un véritable échange » Infirmière dans ce service depuis cinq ans, Agnès Nguyen assure que les résultats sont palpables.
« Les bébés pleurent beaucoup moins » , constate-t-elle. Quoi de comparable, en effet, entre une pesée effectuée de façon « technique », avec un bébé perdu, « dispersé », en proie à un stress intense et une pesée en position fœtale, à quatre mains avec l’un des parents ?
Vanessa, elle, le constate pendant le bain de Jules :
« Même avec un enfant aussi petit, il y a un véritable échange au moment où on le met dans l’eau et où il retrouve les sensations qu’il avait dans mon ventre » , note la maman.
Ces efforts pour favoriser la bientraitance des bébés ne sont toutefois pas simples à mettre en œuvre, en particulier dans un grand service comme celui-là, qui compte 42 couveuses.
Une démarche progressive « Associer les parents aux soins exige de passer du temps avec eux, de bien leur montrer les gestes à effectuer. Tout cela a un impact sur l’organisation du travail » , note Olivier Baud, indiquant que le lieu leur est accessible 24 heures sur 24. Il faut aussi composer avec un turn-over important du personnel.
« Nous devons former chaque nouvelle infirmière, confirme Agnès Nguyen,
sachant qu’au début, elle va se concentrer sur la technique médicale. Ce n’est qu’une fois à l’aise qu’elle pourra s’intéresser aux soins de développement. » Pas facile non plus de travailler toute la journée dans la pénombre ou de bousculer ses habitudes.
« Il y a des résistances, reconnaît Véronique Randon.
Notre démarche est progressive. » Des progrès restent ainsi à faire dans plusieurs domaines, selon ces deux soignantes : le respect des cycles de sommeil, le regroupement des soins, ou encore l’utilisation plus systématique du saccharose sur la tétine pour apaiser le bébé au moment d’une prise de sang, par exemple.
Vanessa, elle, salue l’écoute et la bienveillance du service :
« L’équipe est formidable, j’ai pu trouver ma place » , confie-t-elle. Pour le bien-être de Jules et de son frère jumeau, Adrien.
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Prem Up, une fondation dédiée à la naissanceReconnue d’utilité publique, la fondation de coopération scientifique PremUp a été créée en 2007 par l’Inserm, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le centre intercommunal de Créteil et sept universités franciliennes. Forte d’un réseau multidisciplinaire de chercheurs et de soignants, elle promeut et finance des projets de recherche et de soins ayant trait à la naissance et à la prématurité dans le but d’accélérer les connaissances dans ces domaines.
Cette année, ces 5es assises avaient pour thème « La bientraitance du nouveau-né prématuré ». Elles se sont tenues vendredi dernier à Paris autour de trois tables rondes : « Le stress induit par la prématurité », « Les soins de développement » et « La place des parents et leur influence dans la prise en charge ». La « marche des bébés » destinée à récolter des fonds aura lieu le 14 octobre 2012 à Paris.
MARINE LAMOUREUX