Les nouvelles grands-mères
Actives, dynamiques, jeunes d’esprit, les mamies d’aujourd’hui ne ressemblent plus à celles d’antan. Et elles ne sont pas toujours aussi disponibles pour leurs petits-enfants
On les appelle «manou», «mamita», «mamijo», ou tout simplement par leur prénom, pour les différencier de leurs propres mères, devenues arrière-grands-mères, et qui ont déjà pris le petit nom de «mamie» ou «mémé». Si on devait en faire un portrait-robot, on ne les représenterait plus avec des cheveux blancs, tricotant dans leur fauteuil en surveillant leurs petits-enfants, mais plutôt en jean devant leur ordinateur ou en tenue de jogging sur leur vélo.
Actives, sportives, dynamiques, les grands-mères d’aujourd’hui ne ressemblent plus à celles d’antan. Et elles sont souvent «surbookées». «Quand je demande à ma mère si elle peut garder mes enfants un week-end ou un soir, elle sort son agenda, sourit une jeune maman. Entre son boulot, ses cours de yoga, ses dîners et ses activités associatives, elle a un emploi du temps de ministre!»
Ces «jeunes» mamies marchent sur les pas de ces pionnières, celles qu’on a appelées, dans les années 1980, les «nouvelles» grands-mères. Ces femmes du «mamie-boom», qui se sont mises à travailler professionnellement, beaucoup plus que leurs propres mères, ont accompagné l’émancipation de la femme, renouvelé l’image de la maternité puis de la grand-maternité.
«Elles veulent préserver leur vie et ont besoin de se repositionner dans cette génération-pivot»
Aujourd’hui, on voit une nouvelle génération qui arrive, celle de leurs propres filles. «Ces femmes-là qui se retrouvent aujourd’hui grands-mères changent à nouveau la donne», observe le sociologue Éric Donfu (1). Elles sont encore plus actives, voire pluri-actives. Elles poursuivent souvent leur activité professionnelle, qu’elles cumulent avec d’autres engagements, s’occupent de leurs parents âgés, ont parfois encore de grands enfants chez elles.
Elles ont aussi de plus en plus de loisirs, sortent, voyagent, font du sport (la pratique sportive des plus de 60 ans a été multipliée par sept en quinze ans), soignent leur ligne, ce qui les maintient en meilleure santé et les font paraître plus jeunes.
Et quand elles se retrouvent à la retraite, elles tournent une nouvelle page de leur vie, dont elles veulent profiter pleinement. Plus que jamais encore, «elles veulent préserver leur vie personnelle, et ont besoin de se repositionner dans cette génération-pivot, refusent un peu le “mamie-sitting”… même si elles le font quand même», ajoute-t-il.
Les Français plébiscitent d’ailleurs cette émancipation des grands-mères: selon un sondage réalisé pour la Fête des grands-mères en 2009, la grand-mère «idéale» est avant tout celle qui est «jeune et tonique» et «prend plus de temps pour elle-même», loin devant celle qui «se rend disponible pour sa famille».
Parfois plus jeunes d’esprit que leurs enfants, elles assument pleinement leur statut
À l’aise avec Internet, au courant de tout, elles sont parfois plus jeunes d’esprit que leurs propres enfants. «Elles ont parfois une extravagance plus grande qu’eux, souligne Éric Donfu, la génération des quadras amorçant un certain retour à la norme. On entend parfois dire : «J’ai confié mes enfants ce week-end à ma mère, qu’est-ce qu’elle va encore leur faire faire!». D’ailleurs, à la question : «Est-ce que la grand-mère paraît parfois plus jeune que la mère », 41% des Français répondent «oui»!
Ces nouvelles mamies n’hésitent pas à remettre en cause certains modes d’éducation de leurs propres enfants, sont plus tolérantes, autorisent leurs petits-enfants à se coucher plus tard, les rejoignent sur Facebook ou comprennent mieux que les parents les ados qui se rebellent.
En même temps, assure Éric Donfu, elles assument pleinement leur statut, n’hésitant plus à se faire à nouveau appeler grand-mère: «Alors que leurs mères voulaient se débarrasser de ce titre, ça les dérange moins», dit-il. Et elles rêvent toujours de tisser avec leurs petits-enfants des relations tendres et complices.
Pour autant, la vie réelle des «nouvelles» grands-mères n’est pas si rose. Car même si elles paraissent plus jeunes que leur âge, elles n’ont plus le dynamisme de leurs 30 ans. Sylvie, 56ans, cadre dans une entreprise, en témoigne.
«J’ai eu mes premiers petits-enfants plutôt tard. Je les attendais donc avec impatience. Mais je ne m’attendais pas à me retrouver prise en sandwich entre mes parents, dont je dois accompagner la vieillesse, mes deux derniers qui n’ont pas fini leurs études, et mes nouveaux petits-enfants. Je suis le point central de tout, je dois gérer l’affection de tous. Comme mon travail me pompe aussi beaucoup d’énergie - les entreprises ne sont pas tendres avec les seniors –, il y a un moment où c’est le trop-plein, et j’avoue que je suis épuisée.»
"Elles assument la garde de leurs petits-enfants tout en travaillant"
«J’aimerais pourtant, ajoute Sylvie, être une “bonne” grand-mère: l’un de mes petits-fils vient d’avoir un an, j’aurais aimé prendre une demi-journée pour lui apporter un cadeau chez sa nounou, mais je n’ai pas pu, et je le regrette. Et quand mes enfants me demandent de garder leurs bébés le week-end, je n’ose pas dire non, même si ça m’affole un peu.»
«Les grands-mères continuent à être très sollicitées quand les enfants sont petits, confirme la sociologue Claudine Attias-Donfut. Leur aide est devenue une institution pour les jeunes couples. Elles assument la garde de leurs petits-enfants tout en travaillant, même si elles y consacrent moins de temps. C’est souvent difficile pour elles de refuser, même si elles sont surchargées. Et parfois, leurs enfants ne se rendent pas compte de la fatigue occasionnée.»
Néanmoins, elles n’hésitent pas non plus à poser des limites. Annick Leguillette, animatrice d’un groupe de parole «Grands-mères pour la première fois» à l’École des grands-parents européens (EGPE) de Paris, en témoigne.
«Elles sont souvent très actives dans tous les domaines et ne veulent pas tout lâcher quand leur petit-enfant arrive. Elles ne sont plus centrées sur leur seule famille, cherchent à rester dans le monde, à s’ouvrir à tout. Elles ne veulent plus être dans la dépendance et dans l’attente, alors qu’elles ont des activités qu’elles aiment et auxquelles elles tiennent.»
Leurs petits-enfants, de leur côté, sont toujours en demande de grands-mères plus calmes et plus disponibles. D’autant plus que leurs propres parents le sont de moins en moins. C’est ce paradoxe que souligne Anne-Solenn Le Bihan, psychologue clinicienne et auteur d’un nouveau livre sur les grands-parents aujourd’hui (2).
Certains petits-enfants ne se retrouvent pas dans ces grands-mères qui bougent tout le temps
«Ce qui caractérise la relation grands-parents/petits-enfants, c’est toujours cette disponibilité. C’est ce que leurs petits-enfants disent quand on les fait parler. “Ce que j’aime bien faire chez mamie, c’est ne rien faire, avoir du temps”…
Beaucoup de petits-enfants ne se retrouvent pas dans ces grands-mères modernes, qui bougent tout le temps. C’est rassurant pour eux de voir qu’on vieillit petit à petit en étant plus tranquille.» Être calmes et dynamiques, disponibles et actives, dans le coup et dans leur âge. N’en demande-t-on pas trop aux mamies d’aujourd’hui ?
D’autant plus qu’elles doivent aussi s’adapter aux nouvelles configurations familiales, assurer la continuité de la famille lors des séparations de couples (y compris le leur), accueillir leurs «beaux» petits-enfants qui leur arrivent parfois à l’improviste.
Elles doivent aussi bien sûr, comme toujours, trouver leur juste place, être proches sans être envahissantes, faire preuve de diplomatie... Comme le dit Pierre Beaucarne(3), «un grand-parent c’est quelqu’un qui arrive sur la pointe des pieds et les bras ouverts».
En dépit de ces défis qu’elles doivent relever, devenir grand-mère reste pour la plupart d’entre elles un «grand bonheur». Elles regrettent simplement parfois de ne pas pouvoir plus sereinement s’y adonner.
Christine LEGRAND
(1) Vient de publier: I love ma grand-mère, Des lettres pour raconter un lien unique, Éd. Géo, 14,20€.
(2) Si tu dis non, je vais chez mamie!, Éd. Larousse, 191p., 15,90€.
(3) Auteur du Guide des nouveaux grands-parents, Éd. Leduc, 17,95€.