Les bienfaits de l'éducation à la baguette Des enfants qui disent bonjour et merci. Se régalent de petits pois et de brocolis. Et restent à table sans broncher. C'est ainsi que Pamela Druckerman voit les petits Français.
"Déguisement : les Indiens Peaux-Rouges." Jill, une Américaine installée à Paris, est restée médusée devant l'invitation à une fête d'anniversaire qu'a reçue sa fille. Pour comprendre son effroi, il faut imaginer des petits Français conviés aux Etats-Unis à un goûter sur le thème : " Les sauvages du fleuve Congo "...
Pas facile de devenir une mère à la française. Mais Jill a décidé de s'accrocher. Elle a acheté le plus beau déguisement d'Indienne à plumes à sa fille et l'a conduite à l'anniversaire de son amie. Sans oublier, au retour de lui faire un petit cours sur l'histoire des Etats-Unis.
Pourquoi une telle abnégation ? Vues d'outre-Atlantique, les Françaises seraient des mères modèles.?????
Ou plutôt des mères d'enfants modèles : bien élevés, mangeant de tout et capables de rester à table sans broncher durant les (très) longs repas de famille. Tout le contraire des affreux petits Américains qui ne connaissent des légumes que les frites et ne conçoivent pas de manger assis. Cliché ? C'est une Américaine qui le véhicule. Mais elle connaît son sujet : elle vit à Paris. Pamela Druckerman a beaucoup fait parler d'elle aux Etats-Unis grâce à son livre Bringing Up Bébé - One American Mother Discovers the Wisdom of French Parenting (Elever bébé, une mère américaine découvre la sagesse de l'éducation à la française), paru au Royaume-Uni sous le titre French Children Don't Throw Food (Les enfants français ne jettent pas la nourriture).
L'ouvrage semble un croisement commercial de deux récents best-sellers : French Women Don't Get Fat (Ces Françaises qui ne grossissent pas, J'ai Lu) de Mireille Guiliano, un carton, paru en 2004. Et Battle Hymn of the Tiger Mother (L'hymne de bataille de la mère Tigre, Gallimard) d'Amy Chua (plus d'un million de ventes en 2011), le coup de gueule d'une mère d'origine chinoise contre l'éducation à l'américaine, trop laxiste, selon elle.
La couverture anglaise du livre de Pamela Druckerman est décorée d'une nappe à carreaux rouge et blanc. On s'attendrait presque à entendre de l'accordéon en tournant les pages. Elle reçoit chez elle à Paris, près de la République, avec un béret. De ses premières surprises de mère américaine en France, elle a pris des photos qu'elle a envoyées à ses proches aux Etats-Unis.
Sa carte Vitale (" avec ça, on se fait rembourser, plutôt qu'avec des tas de papiers à remplir ! "), un chocolate sandwich du goûter (" il fallait y penser : un morceau de pain avec un morceau de chocolat ! ") et des menus de la dining experience à la crèche collective.
Elle a même demandé à assister aux réunions de la commission des crèches de Paris, ces gens qui arrivent à faire manger de la purée d'endives et des gâteaux à la rhubarbe à des enfants de 3 ans qui ne savent même pas ce que sont les nuggets.
Son livre regorge d'anecdotes sur les tribulations d'une mère américaine à Paris.
Les enfants disent " caca boudin " (" literally "caca sausage" ").
La Sécurité sociale prend en charge la remise en état des périnées des mères après l'accouchement avec des appareils qu'on pourrait imaginer vendus dans des sex-shops.
Les parents accompagnent toutes leurs instructions aux tout-petits de " doucement " et ont un terme pour toutes les méthodes éducatives avec lesquelles ils sont en désaccord : " c'est n'importe quoi ".
Le French way of life a de quoi dérouter.
Pour ne pas rester seule face à son désarroi, Jill, la maman prête à déguiser sa fille en squaw pour mieux s'intégrer à la vie parisienne, a rejoint Message, un support group de mères anglophones auquel appartient également Pamela Druckerman. Jill y a rencontré Amy et Nadya. " Attention, on n'est pas anti-Françaises ! On a choisi de vivre ici ! ", précise l'une d'elles.
Si elles se sont inscrites dans cette association qui rassemble 2 500 anglo moms en Ile-de-France, c'est d'abord parce que ce n'est pas si facile de se faire des amis dans ce pays.
Elles pensaient qu'il leur suffirait d'avoir des enfants dans la même école pour bavarder... " Aux Etats-Unis, cinq minutes après avoir rencontré quelqu'un, on échange nos noms et on se demande ce qu'on fait dans la vie. Les Français pensent qu'on est superficiels, mais ces liens remplissent une autre fonction. "
Nadya, Canadienne anglophone venue en France avec son mari, a eu droit à une formation, un cultural training, à son arrivée à Paris. On lui a expliqué que, socialement, les Français sont des noix de coco (durs à l'extérieur, tendres dans le coeur) tandis que les Américains sont des pêches (tendres à l'extérieur, avant de tomber sur un noyau).
Le plus étonnant au pays des noix de coco, c'est que des mères qui se croisent à l'école sans échanger un traître mot laissent leur enfant sans difficulté à une fête d'anniversaire. " Chez quelqu'un que finalement elles ne connaissent pas ! ", souligne Nadya. Et repartent aussitôt.
Pour Pamela Druckerman, le goûter d'anniversaire résume toutes les différences culturelles : la mère française de l'enfant invité largue sa progéniture et repassera la chercher quelques heures plus tard (comprendre : elle a une vie autre que celle de mère).
La mère française qui organise la fête reçoit chez elle, autour d'un gâteau, sans clown ni dompteur (comprendre : c'est un rempart à la surenchère américaine du rien-n'est-trop-beau-pour-mes-enfants). " Aux Etats-Unis, je ne connais plus personne qui fasse des anniversaires normaux chez soi. Une fête d'anniversaire réussie est offsite. Dans un resto à thème, un musée, ça coûte une fortune... ", soupire Amy.
S'il y a bien un point sur lequel Jill, Amy et Nadya revendiquent de s'être adaptées à l'éducation française, c'est l'alimentation. Quand elles retournent chez elles pour les vacances, elles s'affligent des " rayons chips des supermarchés qui couvriraient la moitié d'un Franprix ". C'est d'ailleurs sur ce sujet que le livre de Pamela Druckerman est le plus convaincant, selon les trois amies.
C'est aussi le thème qui a retenu -l'attention du Wall Street Journal. Le site Internet du quotidien a publié un long extrait de Bringing Up Bébé sous le titre provocateur "
Pourquoi les parents français sont supérieurs ".
Pamela Druckerman y explique comment font les mères françaises pour que leurs rejetons restent assis à table. La réponse est édifiante : elles ne les laissent pas manger entre les repas. Un enfant qui a faim a moins de chances de jeter ses petits pois par-dessus bord. CQFD.
" Quand vous demandez à des parents français si leurs enfants mangent à heure fixe, ils répondent quasiment toujours non, se piquent d'être souples et assurent : "Vous savez, tous les enfants sont différents" ", explique Pamela Druckerman.
Mais les mères américaines installées en France voient dès l'âge de la crèche des enfants prendre quatre repas par jour à des heures qui resteront grosso modo les mêmes toute leur vie. " Le goûter est le snack officiel et c'est le seul de la journée ", s'extasie Pamela Druckerman. La télévision américaine s'est penchée sur le sujet. Invitée par la chaîne NBC pour faire la promotion de son livre, Pamela Druckerman, béret sur la tête, a montré sa famille à table. Stupéfaction sur le plateau : ses enfants mangent des brocolis. " Ils ont même l'air de les aimer ", commente la voix off.
Paradoxe : l'auteure est invitée dans son pays à expliquer comment être une parfaite mère française... alors qu'une grande partie de son livre incite les Américaines à cesser d'essayer d'être une mère parfaite.
Le secret des Françaises, selon elle, serait justement d'être capable de lever le pied de leur rôle de mère.
Dans Perfect Madness, un autre best-seller publié en 2005, Judith Warner, une journaliste américaine elle aussi installée en France, invitait ses concitoyennes à copier les mères tricolores et à en faire moins.
Mais l'auteur, qui est depuis retournée vivre à Washington et revient régulièrement en France, avoue qu'elle n'écrirait plus la même chose aujourd'hui. " Dans les milieux favorisés, je commence à trouver en France ce qu'on voit aux Etats-Unis : des parents dans la course aux bonnes écoles dès la maternelle, qui bourrent les emplois du temps d'activités en tout genre. "
Et puis il y a tout de même quelque chose qui dérange les Américaines installées à Paris dans l'éducation à la française : le positive thinking n'est guère présent. Les livres pour enfants en témoignent : " Dans les histoires américaines, il y a un problème, il est résolu, happy ending ", constate Pamela Druckerman. " Dans les livres français, le problème apparaît, on essaie de le résoudre, mais il se repose sous une autre forme et on comprend que la vie est compliquée. " Il suffit de voir comment finit la chèvre de M. Seguin.
Certes, les Américains sont capables de se moquer de leur excès d'optimisme. Un square de San Francisco est ainsi surnommé le " good job park " parce qu'on n'y entend que le refrain des encouragements des parents. " Il y a une tendance récente de la psychologie américaine contemporaine à remettre en question cette culture de l'encouragement à outrance ", observe Judith Warner. Mais de là à faire subir aux enfants américains le traitement français... Ne pas les noyer sous les encouragements est aussi inconcevable outre-Atlantique que notre recours aux suppositoires (et au moins autant débattu chez les expatriés).
" Je suis ici depuis onze ans et il m'a fallu des années pour me réjouir d'un 14/20. Cela me fend le coeur que les 20/20 soient si rares, regrette Amy. 10/20 c'est la moyenne mais, aux Etats-Unis (où on note de A à F), un C, c'est pire que mauvais... "
" Je sais bien que ça a quelque chose de ridicule ces matchs de foot aux Etats-Unis où on ne compte pas les points et où tout le monde a gagné, mais il y a quelque chose de fort dans cette culture de l'encouragement ", assure Jill.
" Je ne me soucie pas uniquement de l'enfant que j'élève mais aussi de l'adulte qu'il va devenir ", poursuit-elle.
Et c'est là que ces mères américaines, pourtant en admiration devant leurs homologues françaises, doutent : " J'admire l'intensité de l'enseignement scolaire français, mais on dirait que c'est la seule chose qui compte, lâche l'une d'elles. Les Américains seraient surpris par la rigueur du système. "
Les extraits du livre de Pamela Druckerman publiés sur le site du Wall Street Journal (accompagnés d'une vidéo en béret) ont provoqué plus d'un millier de réactions. Les critiques reprennent les interrogations des mères de Message : certes, ces enfants-là se comportent bien mais cela en fait-il des adultes heureux et " créatifs " ? " C'est comme si les années 1960 n'étaient pas encore passées par là, commente un Américain qui a été enseignant en France. Il est de bon ton ici de caricaturer la France en pays socialiste, mais le système éducatif français n'est certainement pas trop progressiste, il est en fait très conservateur. " La preuve : les enfants mangent des brocolis.
Et vous ,quel est votre avis sur les mères françaises ?????