S’émerveiller fait du bien à tous les Français
Dans un sondage réalisé par le CSA deux personnes sur trois se disent capables de s’émerveiller. Voilà qui contre l’affirmation que toute la société est désabusée;
En ces temps de crise, d’austérité et de monnaie qui flanche, voilà un thème de questionnaire étonnant – les Français et l’émerveillement – réalisé par le CSA
. Que révèle ce sondage ?
Deux tiers des Français s’émerveillent régulièrement
Premier constat tiré de la première question. Les deux tiers des Français disent s’émerveiller régulièrement. Un score élevé surprenant. D’autant que cette capacité à s’émerveiller n’est pas plus fréquente dans les catégories les plus favorisées que parmi les plus pauvres.
Pas d’affaiblissement notable non plus dans l’émerveillement selon les opinions politiques – gauche et droite confondues pour une fois – ou les catégories professionnelles – cadres et ouvriers même combat.
« Les réponses confirment, explique Gaspard Lancrey-Javal, chargé d’études, qui a diligenté l’enquête au CSA, ce que nous observons depuis deux ans, date du début de la crise mondiale : les Français individuellement gardent une attitude positive pour eux-mêmes comme si chacun espérait rebondir. Il y a un écart entre les ressorts individuels et le regard sur la société en général. Si la question avait été : pensez-vous que les Français s’émerveillent, cela aurait été moins positif. Mais c’est une bonne chose de contrer l’affirmation que tout le monde est désabusé. »
Deuxième conclusion notable observée au fil de cette première question : si ceux qui se disent simplement catholiques ne s’émerveillent pas plus que la majorité des Français, il n’en est pas de même des catholiques pratiquants très sensiblement plus enclins à l’émerveillement.
« Cela vient du fait, explique encore le chargé d’études du CSA, que le terme émerveillement prend un sens religieux bien différent et plus fort que celui passé dans le langage courant. »
Ce qu’André Rauch, professeur émérite à l’université Marc-Bloch de Strasbourg, spécialiste en histoire culturelle, explique en ces termes : « Si c’est merveilleux c’est que le Créateur a bien fait les choses et pour les chrétiens il y a dans cette idée une raison supplémentaire de croire en Dieu. »
Une naissance, un paysage
Quand on demande ensuite aux Français l’événement qui pourrait susciter leur émerveillement, deux thèmes se détachent d’emblée : une naissance, un paysage. Seuls les catholiques pratiquants mettent en valeur une autre donnée liée à leur foi (la prière ou un office religieux).
La réponse touchant à la beauté d’un paysage est peut-être liée à la période hivernale, explique-t-on au CSA : « Je ne suis pas sûr, dit Gaspard Lancrey-Javal, que nous aurions eu le même résultat en plein été. »
Quant à la naissance, toutes les catégories se retrouvent pour s’émerveiller de l’enfance comme une période d’innocence, notamment parmi les catégories les plus défavorisées, moins sensibles à la nature.
Pour le reste, on remarque sans surprise que l’émerveillement lié au sentiment amoureux décroît avec l’âge, et que quand on habite une commune rurale on est plus sensible à l’émerveillement devant la nature que lorsque l’on vit dans une grande agglomération.
« Dans notre société de spectacle, relativise André Rauch, chacun est invité à s’émerveiller pour faire face à la morosité. Le merveilleux c’est à la fois ce qui est beau et bon à l’extérieur, l’esthétique et la morale liées. Ce qui rend la période de Noël merveilleuse, c’est qu’elle touche à la fois à l’enfance et la féerie des lumières, à la naissance et à la beauté. »
Le “dé-émerveillement”
Si l’émerveillement est intrinsèquement lié à la croyance en Dieu, plus nouvelle est la faculté de s’émerveiller des non-croyants, même s’il ne faut pas oublier que l’émerveillement a été mis en valeur dès l’origine des temps. « Platon y voit la première capacité du philosophe, la marque d’un esprit ouvert au monde, affirme Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste (1).
Ensuite la modernité, les Lumières se sont construites sur le “dé-émerveillement”, une capacité critique de déconstruire le monde. Aujourd’hui, les gens retrouvent cette nécessité de s’émerveiller.
Chez les intellectuels, ils forment une sorte d’avant-garde pointant les manques d’une société où règne le cynisme. Mais comme psychanalyste, je rencontre de plus en plus de personnes qui ont une nostalgie de l’émerveillement, de cette capacité de s’émerveiller faite de petits moments comme la vue d’un enfant ou d’un paysage. »
"L’émerveillement est lié à la sagesse"
Est-il important de s’émerveiller, et cela rend-il plus heureux, sont deux affirmations qui rencontrent un score unanime quel que soit le public. « Riche, pauvre, jeune ou vieux, chacun trouve cela important, confirme Michael Edwards, philosophe et poète, auteur britannique d’un livre sur l’émerveillement (2), thème de ses cours au Collège de France.
Alors que la France est dans une phase assez morose, mon livre s’est bien vendu à 4 000 exemplaires, j’y parlais pourtant de ce thème en réflexions ardues et en évoquant les philosophes. Mais mes auditeurs venaient pour s’émerveiller. Cela leur parlait comme leur parle le thème de mon prochain livre lui aussi issu de mes cours – Le bonheur d’être ici, une phrase volée à Claudel – il y a une soif de positif dans cette période de morosité. »
« L’émerveillement est lié à la sagesse, ajoute Cynthia Fleury. Face à l’utilitarisme ambiant, les émerveillés résistent et cherchent une autre intelligence du monde. D’une certaine manière, le travail philosophique et psychanalytique consiste à renouveler la capacité d’apprendre, de s’étonner. Et, qui sait, de construire une éthique de l’émerveillement. »
Seules différences intéressantes à noter : les catholiques sont plus nombreux à penser que s’émerveiller s’apprend ; et les personnes âgées toutes catégories confondues sont les seules à accepter majoritairement que l’émerveillement faiblisse avec l’âge. Mais chacun conclurait comme Michael Edwards que « l’émerveillement nous fait du bien. À tous. »
Marie-Françoise MASSON
(1) Auteur de La Fin du courage, Fayard, 208 p., 14 €.
(2) De l’émerveillement, Fayard, 287 p., 20 €.
Et vous , vous émerveillez vous encore???????Et de quoi????