Le 64e Festival de Cannes, qui s’ouvre mercredi 11 mai, réserve une place importante à des films en prise avec l’actualité du monde arabo-musulman.
L’Égypte est le premier « pays invité » du festival, qui inaugure un hommage annuel aux grandes patries du cinéma.
Deux films iraniens réalisés par des cinéastes menacés par le régime des mollahs ont été ajoutés à la sélection officielle.
Sous la plage, les pavés. Tel pourrait être le slogan de la 64e édition du Festival de Cannes qui commence aujourd’hui sous des auspices très politiques. La Croisette attend avec impatience de voir le film de Xavier Durringer sur l’accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy.
La Conquête , présenté hors compétition le 18 mai, télescopera un hommage rendu le même jour au cinéma égyptien qui inaugure le principe de « pays invité ». Une façon d’évoquer les soubresauts politiques qui ont agité ce pays, dans la continuité de la révolution tunisienne. Celle-ci sera également évoquée à Cannes avec Plus jamais peur, un documentaire de Mourad Ben Cheikh sélectionné hors compétition.
Une table ronde sur le thème «
Faire des films sous une dictature » témoignera du travail des cinéastes dans ces pays, mais aussi en Iran, dont le cinéma est fortement soutenu par Cannes. Deux œuvres de réalisateurs iraniens menacés par les autorités de leur pays ont été ajoutées à la dernière minute à la sélection officielle : Bé Omid é Didar («
Au revoir ») de Mohammad Rasoulof et In Film Nist («
Ceci n’est pas un film ») de Jafar Panahi.
« Cannes doit servir les films et les cinéastes »Critiques virulents du régime des mollahs, tous deux ont été condamnés à des peines de six ans d’emprisonnement et à vingt ans d’interdiction de travailler. Comme l’an dernier, un siège vide symbolisera l’absence de Jafar Panahi durant toute la durée du festival au Théâtre Croisette.
« La mission de Cannes est de servir les films et les cinéastes, explique Thierry Frémaux, délégué général du festival. Il se trouve que ces derniers ne vivent pas à l’écart du monde et en évoquent les joies et les douleurs. Cannes, légitimement, s’en fait l’écho. »
Caisse de résonance médiatique, le festival est « un attrape-tout qui mêle glamour et avant-garde, selon Michel Ciment, critique de cinéma et directeur de la publication de la revue Positif. Ce n’est donc pas étonnant que la politique s’y retrouve. »
Dans les années 1950, Cannes s'autonomise Pour Jean Ollé-Laprune, historien du cinéma (1), la politique est inscrite dans le code génétique de la manifestation : « Avant la Seconde Guerre mondiale, le plus grand festival du 7e art était celui de Venise. Mais en 1938, la Mostra récompensait deux films de propagande :
Les Dieux du stade de Leni Riefenstal et
Luciano Serra, pilote de Goffredo Alessandrini.
Les autorités françaises décident alors de créer le Festival de Cannes dont la première édition aura lieu en 1946.
Jusque dans les années 1950, c’est le Quai d’Orsay qui l’organisait. Chaque pays avait un droit de veto sur la sélection s’il s’estimait offensé par un film.
Nuit et brouillard était rejeté en 1955, à la suite de pressions d’Allemagne de l’Ouest. »
Petit à petit, Cannes a pris son indépendance, devenant maître de sa sélection. « Cette tradition d’associer le cinéma à la chose politique est liée à l’autonomie croissante qu’acquiert le festival », observe l’historien. Les événements de Mai 68 constituent l’une des étapes de cette politisation. Des étudiants et réalisateurs solidaires du mouvement parisien s’accrochent au rideau pour empêcher la projection de
Peppermint frappé de Carlos Saura.
Choqués par l’éviction d’Henri Langlois de la Cinémathèque par le ministère des affaires culturelles, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Lelouch et d’autres cinéastes prennent la tête de la contestation. « Nous avons conquis de haute lutte en trente secondes le Palais des festivals et nous n’en sortirons que par la force des esquimaux Gervais », s’exclame Godard, parodiant Mirabeau. Le 19 mai, le délégué général Roger Favre Le Bret annonce l’arrêt du festival.
« Cannes n’est pas que politique » Cette édition inachevée permettra tout de même de faire naître la Quinzaine des réalisateurs qui, avec la Semaine de la critique, ouvre la manifestation vers des continents inexplorés du 7e art.
L’Amérique du Sud en a profité, notamment le cinéma novo, nouvelle vague brésilienne dont le credo était « une caméra dans la main, une idée dans la tête ». Tournés durant la dictature militaire de droite,
Terre en transe (1967) et
Antonio das Mortes (1969) de Glauber Rocha ont tous remporté des prix sur la Croisette.
« Heureusement, Cannes n’est pas que politique car cette grille de lecture obscurcit souvent le jugement artistique, juge Michel Ciment. Le festival dérape quand il donne une Palme d’or à Michael Moore pour
Farenheit 9/11 . »
Pour Jean Ollé-Laprune, « cette récompense n’est pas choquante dans la mesure où elle s’inscrit dans un mouvement documentariste grand public. Or Cannes est à l’affût de toutes les tendances artistiques. »
« C’est la grande tradition du festival que de présenter des “films politiques”, non parce qu’ils sont partisans, mais parce qu’ils ont le niveau pour figurer en sélection officielle, ajoute Thierry Frémaux. Certains remportent même la Palme d’or, à l’instar d’Andrzej Wajda et
L’Homme de fer en 1981. »
(1) Cannes , co-écrit avec Yves Alion, Hugo Image, 2007, 35 €.
Affiche du 64e festival de Cannes mise en place sur le palais du festival, à Cannes, lundi 9 mai 2011