Inventons le collège de demain !
Démotivation des élèves, problèmes de discipline, malaise des enseignants..., il devient urgent de faire évoluer le collège. Les parents de l’enseignement privé (Apel) lancent une réflexion sur ce thème.
Alors que la société change, le collège n’a quasiment pas bougé depuis les années 1960.
À l’époque d’Internet et du multimédia, il semble en être resté à l’ère de la craie et du tableau noir. « Il existe un grand décalage entre ce qui est proposé ou imposé aux collégiens et la réalité de la société aujourd’hui, souligne Béatrice Barraud, présidente nationale de l’Apel (Association des parents d’élèves de l’enseignement libre).
Les jeunes ont en effet de multiples sollicitations extérieures, qui les intéressent bien plus que ce qu’on leur enseigne. Le collège, déconnecté de la réalité, doit impérativement évoluer. » C’est d’autant plus nécessaire que les élèves sont à un âge difficile, celui de l’adolescence, et que le collège n’en tient pas compte.
« On continue à leur infliger ce que nous, adultes, nous ne serions pas capables de supporter : des journées de classe longues, un saucissonnage des temps de cours, des programmes denses et répétitifs ; et après on s’étonne que nos enfants ne soient pas contents d’aller à l’école. »
L’âge du collège est aussi la période où les difficultés scolaires s’accentuent, où les décrochages sont fréquents et où ceux qui n’ont pas su s’adapter sont laissés au bord du chemin, ou encore orientés vers des filières qu’ils n’ont pas choisies : les parents se demandent alors pourquoi le collège n’a pas su éveiller leur curiosité, leur désir d’apprendre, déceler en eux d’autres compétences et les développer.
Point de cristallisation du mécontentement : le « livret personnel de compétences »
« Quel mérite aurait une école qui ne serait bonne qu’avec les bons élèves et qui laisserait tomber les autres ? », s’interroge Béatrice Barraud, qui entend interpeller les politiques et les acteurs éducatifs et fonde ses espoirs sur les nouvelles technologies pour « créer une nouvelle dynamique » et « forcer le collège à bouger ».
De leur côté, les enseignants expriment de plus en plus leur malaise. Le collège semble être, pour eux aussi, dans une impasse, comme en témoigne l’intitulé du colloque organisé mercredi et jeudi par le Snes (Syndicat national des enseignements de second degré) : « Redonner un avenir au collège ».
« Il devient de plus en plus difficile de travailler au collège, à la fois pour les élèves et pour le personnel, alerte Monique Daune, sa secrétaire nationale en charge du secteur collège. On n’arrive pas à réduire l’échec scolaire. Et les enseignants ont de plus en plus de mal à exercer leur métier, à prendre efficacement en charge des élèves très divers, pour qui l’école ne fait pas toujours sens. »
Point de cristallisation de leur mécontentement : le fameux « livret personnel de compétences », instauré par la loi Fillon de 2005, censé valider la maîtrise du « socle commun » à l’issue de la troisième.
« C’est le grand n’importe quoi, s’emporte-t-elle, car les collègues ne savent même pas comment l’évaluer ! » Les enseignants entendent formuler à cette occasion quelques propositions pour repenser le contenu des programmes en redéfinissant une « vraie culture commune », réduire les effectifs des classes et assurer une meilleure formation des enseignants. Mais ils ne semblent pas prêts à remettre en cause l’enseignement par tranches horaires et disciplines, ni la nature même de leur métier.
De plus en plus de pédagogues préconisent une refonte profonde du système
Or, de plus en plus de pédagogues, à l’instar d’André Giordan, préconisent une refonte plus profonde du système, qui supposerait de repenser entièrement l’emploi du temps, les rythmes de la journée, la pédagogie, la répartition par niveaux et par classes, le système d’évaluation et le rôle des enseignants...
Jean-François Boulagnon, fondateur du collège public expérimental Clisthène, à Bordeaux, est partisan lui aussi de ce changement plus radical. « Le collège d’aujourd’hui est totalement inadapté à l’époque que nous vivons et aux élèves que nous avons. Il s’est depuis des décennies fossilisé, avec cette distribution des heures de cours par “tranches napolitaines”. Il faut tenir compte des apports des chercheurs et bouleverser tout cela, si on veut être efficace. Les enseignants en souffrent aussi, même s’ils ne sont pas forcément conscients que cette organisation les dessert. »
Les expériences innovantes menées tant en France qu’à l’étranger, dans des établissements publics ou privés, montrent qu’on peut remotiver les élèves. Béatrice Barraud, au nom des parents d’élèves, se dit prête à encourager ces initiatives.
« Il existe des solutions pas très coûteuses qui demandent un peu de créativité, mais qui rendent la vie scolaire plus attractive et permettent de développer chez les élèves d’autres compétences. Les établissements catholiques ont la chance d’avoir une liberté pédagogique inscrite dans la loi. Qu’ils en profitent et en usent largement ! »
Dans les collèges publics il est plus difficile de faire bouger les choses
Le collège des Louez-Dieu, à Arras, a mis ainsi en place des « classes à projets » : les élèves choisissent leur classe en fonction d’une « dominante » (théâtre, sports, sciences, communication, arts plastiques) ; ils peuvent cultiver leur jardin ou réaliser des reportages télévisés. « Ces projets redonnent aux élèves confiance en eux, leur apprennent le travail en équipe, les remotivent et instaurent une relation plus riche avec leurs enseignants », résume Jean-Pierre Julien, le directeur de cet établissement.
Au collège Saint-Joseph à Cholet, les cours par discipline, de durée variable, sont maintenus le matin. Mais à partir de 15 heures, on réorganise complètement les emplois du temps et la liste des classes : les élèves se regroupent en ateliers, tous âges confondus, autour d’un projet : sciences physiques appliquées à l’aviation, ateliers d’écriture, réalisation de courts métrages, création d’un site Web, etc.
« Comme les élèves choisissent leurs ateliers, ils sont extrêmement motivés ; ce qui rejaillit sur les autres cours. Et comme les classes sont mélangées, il y a une meilleure ambiance dans le collège », constate Laurent Pénard, son chef d’établissement.
Dans les collèges publics, qui bénéficient de moins de liberté dans ce domaine, il est plus difficile de faire bouger les choses. C’est pourtant au collège public Clisthène, à Bordeaux, qu’on trouve l’une des expériences les plus innovantes. Dans cet établissement, qui accueillait des élèves en difficulté et connaissait des problèmes de violence, Jean-François Boulagnon a osé en 2002 « casser le carcan institutionnel » du temps scolaire et mettre en place, avec une équipe d’enseignants volontaires, une structure pédagogique complètement nouvelle « sans moyens supplémentaires » et « qui puisse se décliner ailleurs ».
L'expérience menée au collège Clisthène, à Bordeaux, a fait ses preuves
En dix ans, l’expérience a fait ses preuves. « On a divisé par deux le taux de sorties du système scolaire, avec les mêmes moyens et dans de bien meilleures conditions pour les élèves, souligne modestement Jean-François Boulagnon. Les élèves sont plus autonomes et habitués à travailler en groupe, ils ont pris confiance en eux et ont de bien meilleurs rapports avec les adultes. Et surtout, ils s’intéressent et sont heureux d’aller en classe. »
Encensé par les chercheurs, les pédagogues, le Haut Conseil de l’éducation, les élèves, les parents et même la presse locale, Clisthène, qui croule sous les demandes d’inscription, devait s’agrandir, l’expérience s’étendre ailleurs… Mais son évolution est pour l’instant bloquée.
Jean-François Boulagnon, qui dirige aujourd’hui un collège plus classique, ne perd pas espoir pour autant. « Je crois qu’on en est qu’au début du bouleversement de l’ensemble. Il n’est plus possible de continuer comme ça et ce diagnostic commence à être partagé par tous. Depuis trois ou quatre ans, il y a une attente. Y compris des parents, qui veulent qu’on porte une meilleure attention à leurs enfants, et qu’ils puissent enfin travailler autrement. »
Christine LEGRAND